La vérité sur dix petits nègres
Pierre bayard
Ed de Minuit
Je commencerai cette chronique par une mise en garde : si vous n’avez
pas lu "Dix petits nègres" et qu’il est dans votre pal, ou si vous désirez le relire un jour, passez
votre chemin car Pierre Bayard, pour les besoins de son écrit, a été obligé de
spoiler.
Cet essai est intelligent et bien argumenté ! L’auteur commence, après
un exposé sur les personnages et les meurtres, par apporter une notion essentielle sans laquelle
son écrit ne pourrait voir le jour tel qu’il nous est proposé, même si cette
notion peut paraître délirante : les lecteurs se scindent en deux groupes :
le premier groupe ce sont les
ségrégationnistes : lecteurs qui pensent que les personnages de la
littérature romanesque n’ont pas d’existence propre ni d’autonomie, ils sont pure création de l'écrivain qui les a façonné, ils n’existent
parce que le lecteur leur donnent vie et leur existence prend fin quand se
referme le livre. Il n’ont comme liberté d’action que ce que l’auteur veut bien
leur donner.
Le deuxième groupe, ce sont les intégrationnistes qui pensent au contraire,
que les personnages ont une part de décision, une autonomie et peuvent agir
suivant des plans élaborés par eux-même ils peuvent donc prendre des décisions
différentes de celles de leur auteur... Bien-sûr, Pierre Bayard se réclame du
second groupe puisque dès le début, il affirme être le véritable assassin des dix
personnes qui séjourne sur l’île du nègre.
Il va donc affirmer qu’il est l’auteur de la sombre machination orchestrée
sur cette île, sans se dévoiler, les adjectifs sont écrits avec les deux
accords possibles, et pas une fois jusqu’au bout de sa démonstration, il ne
laissera la possibilité au lecteur de faire des hypothèses.
Il commence donc par démonter l’histoire d’Agatha Christie, en montrant par
quels stratagèmes le lecteur est bluffé : omissions volontaires et
non-dits, mise en doute de la signature du criminel, mise en doute de certaines
actions des personnages que je ne pourrais citer. Je reconnais que deux actions
m’ont posé question lors de ma lecture de dix petits nègres : j’avais
pourtant affirmé n’avoir rien vu lors de ma relecture, mais tout de même, deux
questions m’ont effleurée durant quelques secondes, je suppose que je les ai
chassées par respect pour cette œuvre littéraire et son auteure.
Il insiste sur les illusions créées chez le lecteur en expliquant que
celui-ci est éloigné de l’essentiel parce qu’il est capté par certains aspects
de l’histoire et éloigné de ce qui pourrait l’amener à se poser les bonnes
questions, et parce qu'il est victime d'un phénomène d'aveuglement tant optique que cognitif bien détaillé dans cet essai.
Puis il explique comment, en tant que criminel officiel, il a organisé ce
piège : il crée alors un autre
scénario tout à fait plausible quoique certainement discutable sur certains
points.
Qu’en ai-je retiré ? Que si on avait confié l’organisation du meurtre
de dix personnes sur une île à quinze écrivains, on aurait eu quinze scénarios
différents et discutables car ce genre de scénario n’est pas facile a imaginer,
Agatha Christie l’avait affirmé elle-même.
Que j’ai envie de laisser les
incohérences du roman de côté parce qu’elles n’empêchent aucunement la lecture,
personnellement ce qui compte pour moi en premier lieu, c’est l’ambiance créée
par Agatha Christie.
J’ai beaucoup aimé cet essai de Pierre Bayard, et je ne manquerai pas de
lire d’autres écrits émanant de sa plume raffinée, intelligente qui m’a
beaucoup appris. J’ai beaucoup aimé cette histoire de ségrégationnistes et
intégrationniste, j’ai d’ailleurs tendance à me rapprocher du second groupe, ce qui me permettrait d' accorder à Jeanne Eyre, à Winston Smith, à Esméralda la liberté qui leur
permettrait de revisiter leur roman d’appartenance.
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