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mercredi 14 août 2019



La vérité sur dix petits nègres


Pierre bayard
Ed de Minuit


Je commencerai cette chronique par une mise en garde : si vous n’avez pas lu "Dix petits nègres" et qu’il est dans votre pal,  ou si vous désirez le relire un jour, passez votre chemin car Pierre Bayard, pour les besoins de son écrit, a été obligé de spoiler.


Cet essai est intelligent et bien argumenté ! L’auteur commence, après un exposé sur les personnages et les meurtres,  par apporter une notion essentielle sans laquelle son écrit ne pourrait voir le jour tel qu’il nous est proposé, même si cette notion peut paraître délirante : les lecteurs se scindent en deux groupes :

le premier groupe ce sont  les ségrégationnistes : lecteurs qui pensent que les personnages de la littérature romanesque n’ont pas d’existence propre ni d’autonomie, ils sont pure création de l'écrivain qui les a façonné, ils n’existent parce que le lecteur leur donnent vie et leur existence prend fin quand se referme le livre. Il n’ont comme liberté d’action que ce que l’auteur veut bien leur donner.

Le deuxième groupe, ce sont les intégrationnistes qui pensent au contraire, que les personnages ont une part de décision, une autonomie et peuvent agir suivant des plans élaborés par eux-même ils peuvent donc  prendre des décisions différentes de celles de leur auteur... Bien-sûr, Pierre Bayard se réclame du second groupe puisque dès le début, il affirme être le véritable assassin des dix personnes qui séjourne sur l’île du nègre.


Il va donc affirmer qu’il est l’auteur de la sombre machination orchestrée sur cette île, sans se dévoiler, les adjectifs sont écrits avec les deux accords possibles, et pas une fois jusqu’au bout de sa démonstration, il ne laissera la possibilité au lecteur de faire des hypothèses.



Il commence donc par démonter l’histoire d’Agatha Christie, en montrant par quels stratagèmes le lecteur est bluffé : omissions volontaires et non-dits, mise en doute de la signature du criminel, mise en doute de certaines actions des personnages que je ne pourrais citer. Je reconnais que deux actions m’ont posé question lors de ma lecture de dix petits nègres : j’avais pourtant affirmé n’avoir rien vu lors de ma relecture, mais tout de même, deux questions m’ont effleurée durant quelques secondes, je suppose que je les ai chassées par respect pour cette œuvre littéraire et son auteure.


Il insiste sur les illusions créées chez le lecteur en expliquant que celui-ci est éloigné de l’essentiel parce qu’il est capté par certains aspects de l’histoire et éloigné de ce qui pourrait l’amener à se poser les bonnes questions, et parce qu'il est victime d'un phénomène d'aveuglement tant optique que cognitif bien détaillé dans cet essai.


Puis il explique comment, en tant que criminel officiel, il a organisé ce piège :  il crée alors un autre scénario tout à fait plausible quoique certainement discutable sur certains points.


Qu’en ai-je retiré ? Que si on avait confié l’organisation du meurtre de dix personnes sur une île à quinze écrivains, on aurait eu quinze scénarios différents et discutables car ce genre de scénario n’est pas facile a imaginer, Agatha Christie l’avait affirmé elle-même. 

Que j’ai envie de laisser les incohérences du roman de côté parce qu’elles n’empêchent aucunement la lecture, personnellement ce qui compte pour moi en premier lieu, c’est l’ambiance créée par Agatha Christie.


J’ai beaucoup aimé cet essai de Pierre Bayard, et je ne manquerai pas de lire d’autres écrits émanant de sa plume raffinée, intelligente qui m’a beaucoup appris. J’ai beaucoup aimé cette histoire de ségrégationnistes et intégrationniste, j’ai d’ailleurs tendance à me rapprocher du second groupe, ce qui me permettrait d' accorder à Jeanne Eyre, à Winston Smith, à Esméralda la liberté qui leur permettrait de revisiter leur roman d’appartenance.


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