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mercredi 31 mai 2023

Par delà l'attente











Julia Minkowski

Ed JC Lattès, 24/08/2022, 224 pages


Ce roman relate une sombre affaire de meurtre : l’affaire des sœurs Papin, inculpées du double meurtre de Geneviève et Léonie Lancelin pour lesquelles elles travaillent comme domestiques.

Ce n’est toutefois pas un roman destiné à informer le lecteur des faits et gestes des deux sœurs : c’est bien plus que cela. Si effectivement le récit est entrecoupé d’informations concernant les deux meurtrières, il s’ouvre sur une attente : l’attente de Germaine Brière, avocate qui défend les sœurs, qui a terminé sa plaidoirie et qui ne connaît pas encore l’issue du procès dont la sentence est entre les mains des jurés qui délibèrent.

Une attente difficile pour l’héroïne que Julia Minkowski fait revivre sous sa plume pour nous faire découvrir une femme qui mérite de ne pas tomber dans l’oubli, une femme courageuse qui a travaillé d’arrache-pied pour devenir avocate en ce premier tiers de XXème siècle. Le récit nous emmènera dans sa famille, nous présentera ses jeunes années, ses études, ses relations, ses déboires, ses combats pour accéder à un poste destinée aux hommes.

On y apprend quelques astuces pour mener à bien une plaidoirie, on s’immerge dans le domaine de la justice, on se met dans la peau de l’héroïne et on réalisme la difficulté de ce métier qui consiste à défendre des personnes bien qu’on soit conscient de leur culpabilité.

Pour les lecteurs qui s’intéressent à la question des deux sœurs présentes sur le banc des accusés, elles ne sont pas laissées de côté car Germaine, livrant son ressenti, communique les idées qui ont orienté son discours. Un épilogue vient s’ajouter pour clore le roman et informer de la suite des événements après les délibérations.

J’ai été heureuse de faire connaissance de cette femme à la forte personnalité, à l’esprit ouvert, se moquant des commérages, menant son bateau contre vents et marées.

 

dimanche 28 mai 2023

 La faille












Franck Thilliez

Ed Fleuve noir, 4/05/23, 504 pages


La désormais très célèbre équipe de retour de s’installer au Bastion pour une nouvelle enquête. Après l’interpellation manquée d’un tueur nécrophile, on découvrira peu à peu le thème du roman, un sujet tabou que Franck Thilliez, lui-même hésitait à exploiter, un thème qui fait peur ou qui dérange : la mort, par laquelle s’exprime le ressenti de tous les protagonistes parce que personne ne peut l’occulter et que chacun ne peut que se sentir concerné par le sujet. Le lecteur sera donc précipité dans ce roman noir.

La faucheuse dans le présent roman, nous sape le moral dès le départ, introduisant l’un des sujets qui feront le suspens sur la durée du récit. Personnellement, ce premier événement m’a pliée en deux, une angoisse qui vous scotche dans le livre. Il faut dire que les personnages, on les connaît, on y est attaché depuis un certain temps, et l’on ressent une certaine empathie à leur égard. A travers la situation dramatique de Nicolas Bellanger, on se penchera sur la question de la fin de vie et du maintien des personnes en état de mort cérébrale dans un contexte tout à fait particulier.

Mais la faucheuse, ce sera bien plus encore : Expériences de Mort Imminente, question de la survie de la conscience, scandale des corps confiés à la science par leurs propriétaires de leur vivant, expériences et découvertes sur le cerveau…

Nos héros devront donc avancer avec précaution dans cette enquête dangereuse au cours de laquelle chacun est confronté à sa propre mort. On retrouve un sharko en pleine forme bien que l’accent soit mis sur son âge, il est vrai qu’il n’est plus le policier sans expérience de 1991 et de quelques-uns des romans précédents, il n’est plus tout jeune non plus, et l’on ne peut que saluer son dynamisme voire sa témérité. On ne sera pas surpris qu'il agisse contre l'avis de son supérieur par conscience professionnelle, cela fait partie du personnage.

On retrouve également une équipe soudée prête à affronter les pires criminels que l’on découvre dans ce roman que je qualifierais de roman à tiroirs : une première victime inconnue, sur laquelle on retrouve un morceau de fémur greffé, qui permettra de rechercher son « ex-propriétaire », objet principal de l’enquête, et qui, de rebondissements en découvertes, amènera le commandant et son équipe de progresser. Pas une minute d’ennui ou de longueur.

Attention tout de même ! Âmes sensible s’abstenir, quelques découvertes macabres parsèment le récit, je pense même pouvoir affirmer que la torture suprême y est décrite.

J’apprécie particulièrement que l’auteur invite les lecteurs à s’informer en fournissant des adresses de sites, ce qui montre la documentation sérieuse de l’écrivain.

Un très bon roman que je conseille aux amateurs de thriller.

mardi 23 mai 2023

 Mourir avant que d'apparaître











Rémi David

Ed Gallimard, 25/08/2022, 176 Pages


Ce récit romancé, qui raconte un épisode de la vie de Jean genet, m’a permis de découvrir un écrivain que je ne connaissais pas. Période particulière de sa vie où il rencontre Abdallah Bentaga, très jeune homme sans situation, pratiquement éduqué dans un cirque où sa mère l’avait abandonné. Jean Genet en tombe amoureux et passera cinq années à ses côtés. Le poète exploitera les possibilités de son amant pour parfaire son éducation d’acrobate, ce qui inspirera le poème « le funambule » et la suite du présent récit.

On est alors en mesure de se poser une question : quel est donc l’objectif de l’auteur de ce récit ? Il semblerait que son but était de mettre en évidence le personnage de Jean Genet : extrêmement exigeant avec son entourage, souvent grossier, imposant ses vues, intransigeant, provocateur.

On peut parfaitement se sentir agacé par cet homme mis en avant dans le roman, et par la quasi-soumission d’Abdallah, bien jeune lorsque commence cette relation amoureuse, et qui répond à l’appel de Genet pour partager sa vie, donnant l’impression de se laisser manipuler sans en avoir émis le désir. Et pourtant… La suite et la fin du roman montreront le contraire.

L’ensemble du roman n’est que transgression à maintes occasions de la part des personnages rencontrés, évoluant dans un milieu littéraire, une société à part, rencontre d’artistes souvent anticonformistes, milieu fermé et ouvert à la fois.

Une narration à l’écriture fluide, souvent agréable à parcourir, malgré quelques passages un peu longs et qui pourrait persuader le lecteur d’aller consulter quelques œuvres de Jean Genet.

 

 

dimanche 21 mai 2023

 Impact












Olivier Norek

Ed Michel Lafon, 14/10/2021, 312 pages


Un roman bien pensé quoique perturbant.

Bien pensé parce que l’auteur met en scène un individu qui a pris de plein fouet l’un des effets néfastes du réchauffement climatique et qui, quelques années après, se décide à agir pour la planète. Un personnage intelligent qui sait faire en sorte de mettre l’opinion publique dans sa poche.

Une fin surprenante pour notre héros à la fois malfaisant et bienfaiteur de l’humanité mais si on y réfléchit bien, logique d’un point de vue législation. Une autre fin qui fait figure d’épilogue, plus naïve.

Mais comment orienter sa pensée à la lecture de ce terrible thriller ? Je crois que c’est en premier lieu un sentiment de révolte qui m’a assaillie, révolte pour les peuples qui, dès à présent souffrent du réchauffement, de la montée des eaux, des substances que l’on ingère et que l’on respire. Révolte quand on sait qu’une poignée d’individus a pour objectif de s’enrichir sur le dos de des populations, sans penser à notre belle planète.

Puis mon moral est descendu bien bas ! Quel avenir nous attend ? Quel futur se profile pour nos jeunes ? Que pouvons-nous faire ? Ne sommes-nous pas responsables des agissements des compagnie pétrolières ? combien d’entre nous se ruent sur la pompe lorsque la pénurie menace ? Quid de notre épargne qui enrichit des sociétés bien peu soucieuses de l’environnement.

Puis j’ai eu envie de réagir, à mon niveau, même si c’est bien peu, c’est un travail de colibri dira le regretté Pierre Rabbi.

Sans vouloir me mettre la tête dans le sable, j’ai envie de signaler à Olivier Norek qu’il a fait très fort en écrivant ce roman, trop fort peut être, car à moins de se transformer en Virgil Solal, notre héros, il faudra quelques inquiétudes et quelques catastrophes bien palpables pour parvenir à recréer une société exempte de convoitise, vivant dans le respect de l’environnement et de nos pairs, on peut certainement parler d’utopie et d’un nouveau monde de bisounours en lequel il paraît difficile de croire.

Question action, rien à redire, ce cri d’alarme du romancier est aussi un roman policier et il est très intéressant de constater les hésitations des personnages, le revirement pour d’autres, dans une situation tout à fait hors norme. On se posera alors la question de la désobéissance civile, on se demandera si cette dernière est répréhensible ou pas face aux abus des grands de ce monde.

Vous l’aurez compris, un livre qui ne laisse pas indemne.

 

mercredi 10 mai 2023

 Free queens











Marin Ledun

Ed Gallimard, 30/03/2023, 416 pages


Je ne connaissais pas du tout Marin Ledun, et je suis enchantée d’avoir lu ce livre dont il est l’auteur.

Un roman pas simple à lire, je dois avouer qu’entrer dans le récit ne m’a pas été facile : beaucoup de noms de personnages, de sociétés, d’ONG…, beaucoup d’action dès le départ et une action rapide qui m’a tout de même amenée au cœur du problème du Nigéria : un de ces pays où les gouvernements se montent inactifs face aux difficultés d’une énorme partie de la population, un de ces pays où l’extrême misère côtoie l’extrême richesse, même si les groupes ont leur territoire, un de ces pays où la corruption bat son plein, où rien ne s’obtient sans bakchich, ou les jeunes femmes, voire adolescentes sont considérées par les « malfaisants » comme de la marchandise à livrer, un de ces pays où les droits humains sont plus que bafoués.

C’est dans ce contexte qu’évoluent les protagonistes : Serena, journaliste qui vient à Lagos afin d’enquêter sur la prostitution, qui se rendra compte de la situation des femmes, et comprendra le travail de Free Queens, ONG active qui milite pour le droit des femmes,  Oni Goge, peut-être le seul policier honnête du pays, et qui découvre peu à peu les agissements de ses collègues et de a société qui commercialise la bière First en employant un grand nombre de jeune femme qui se prostitue afin d’écouler la marchandise.

Roman bien documenté, travail énorme de l’auteur, qui nous emmène dans les coulisses d’une société mafieuse pour laquelle tous les actes répréhensibles sont permis. Un roman basé sur des fait réels.

Un roman saisissant , une lecture accaparante, on se retrouve dans la peau de Serena, l’intrépide française qui comprendra vite combien la protection par autrui s’avère nécessaire, on prend en pitié ces adolescentes confrontées à la violence des proxénètes, on hurlera de rage face aux découverte du policier, on louera le travail admirable de personnes capables de se dévouer pour défendre une cause.

Effroyable terre que celle dont on sort à la fin du roman, pays où la pauvreté génère des comportement inhumains.

Un livre que je n’oublierai pas et que je conseille tout en me disant que le monde ne se porte pas si bien que cela, que je vis sans doute dans un cocon, et que la réalité est bien différente de ce que je perçois de la vie !

 

jeudi 4 mai 2023

 La chambre des officiers











Marc Dugain,

Ed Pocket, 6/01/2000, 171 pages.


En lisant ce roman, je n’ai pu m’empêcher de le comparer avec le roman de Pierre Lemaître : « Au revoir là-haut, le sujet commun s’y prêtant. Alors que Pierre Lemaître possède une volonté de documentation des lecteurs quant à la suite de la grande guerre, gestion des survivants, problème des « gueules cassées », difficile reprise de la vie courante, Marc Dugain va centrer son récit sur un individu : Adrien, officier échoué à l’hôpital du Val de grâce, défiguré par une « marmite » allemande qui le privera d’une partie de son visage.

Merveilleux récit d’un auteur virtuose qui parvient à décrire une situation des plus insupportables sans sombrer dans le pathos, pour ce faire, il part des sentiments d’un personnage qui ignore tout de ses blessures (on prend soin de retirer les miroirs), il livre le ressenti, les souffrances, les souvenirs du héros, puis il y ajoute délicatement la connivence entre les blessés, tous affreusement mutilés, portraits de soldats avec leurs qualités et leur tact, on verra alors se former une communauté de partage, de compréhension, d’entraide, bien que certains événements bien tristes viennent perturber les mutilés.

La partie qui se déroule à l’hôpital est longue, on le comprendra, la suite est belle, la vie continue contre vents et marées.

Un magnifique roman à lire.

 Les enfants endormis











Anthony Passeron

Ed Globe, 25/06/2022, 288 pages.


Un coup de cœur, un magnifique coup de cœur !

J’ai succombé au charme de ce récit prenant et sincère et au témoignage de l’auteur qui conte en toute simplicité, l’histoire de sa famille, l’histoire de courageux émigrés italiens venu chercher une situation meilleure en France, et qui ont trimé, n’épargnant pas leurs efforts pour construire leur vie et tenter d’aider leur progéniture à façonner la leur. Cette histoire commence avec les arrières grands-parents, qui parviennent à s’installer comme boucher, puis se poursuit avec la génération suivante, les grands-parents de Désiré, l’oncle de l’auteur.

L’auteur explique comment il perçoit ce secret familial qu’il sera amené à exhumer afin de comprendre les épreuves endurées par sa famille.

Par le biais de chapitres croisés, le lecteur est plongé dans ces terribles années de découverte de cas de pneumocystose incompréhensible, de maladies rares se développant, d’abord, le croit-on chez les homosexuels, et que l’on verra s’étendre aux hémophiles, aux consommateurs d’héroïne, aux transfusés. On assiste alors aux recherches, aux balbutiements des traitements, aux tensions entre scientifiques français et américains, aux découvertes contredites, pendant que notre village se voit perturbé par cette épidémie qui casse des vies, qui annihile des années de travail, qui surprend la population qui s’interroge sur « ces enfants endormis » que l’on rencontre ici et là.

Ce récit, on le vit comme une grande injustice qui vient saccager la vie des familles, qui se propage d’une génération à une autre, qui surprend les individus, qui détruit l’espoir d’un avenir prometteur.

Magnifique roman dont l’auteur mérite amplement les prix qui lui sont attribués.