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lundi 21 mai 2018



 avec Maman




alban Orsini
Ed Chifflet&cie, La Loupe

 Je vous conseille vivement cette pépite à la construction originale d’une l’histoire par succession de SMS avec un fil conducteur. Voici quatre bonnes raisons de s'y plonger : 



Divertissant : facile à lire, on le commence, on le laisse, on le reprend, finalement on s’y installe confortablement, 
on est capté : on rit de bon cœur, on devient pensif, on sourit, on tourne une page et là il nous viendrait presque une petite larme. C’est qu’on s’y attache à nos deux personnages.

Hilarant : parmi les situations les plus drôles à lire ou à voir chez les youtubers, il y a ce conflit des générations né de l’utilisation du smartphone. Amis quinquagénaires ou quadra, ou plus , n’avez-vous pas été confrontés à des erreurs de manipulation, des blocages, des plantages, des erreurs de saisie (voire des fantaisies du correcteur d’orthographe) qui génèrent  la dérision, l’agacement ou la compassion chez nos jeunes qui, peu après leur naissance, on fait la connaissance de papa, maman et ... Windows ?

J’ai cité les erreurs de saisie, mais le comique est produit de bien d’autres manières : comique de répétition :  mémé emprunte régulièrement le portable pour produire des suites de caractères variés, maman pose les questions et fournit  les réponses, certains sujets de conversation reviennent régulièrement sur le tapis, maman fait des découvertes sur son portable et semble très fière de montrer à son fils qu’elle peut progresser sans lui, cet amour de fiston demande régulièrement des sous à maman qui trouve toujours une réplique qui vous passe l'envie d'insister, si maman déteste la petite amie de son fils, le voisin Boris ne la laisse pas indifférente... ce qui donne à l'histoire des notes vaudevillesques. 

 Attendrissant : si la relation semble souvent conflictuelle entre maman et son fils, on dénote tout de même un lien inavoué mais profond entre cette mère et son chérubin majeur et actif, bien que ledit chérubin frise souvent la carence en respect, (faut dire que Maman abuse parfois  aussi !)

Bouleversant : là je me tais … vous verrez …
Un ouvrage à placer dans sa bibliothèque pour le reprendre de temps en temps afin de passer un bon moment !

jeudi 17 mai 2018


Sagesse animale


Norin Chaï
ed Stock

   Ce commentaire sera bien plus que la simple critique d’un écrit, c’est l’histoire d’une rencontre, de ces rencontres qui gravent en vous un souvenir inoubliable, d’une étincelle qui vient vous éclairer intérieurement, qui vous apporte un calme intérieur que vous avez envie d’entretenir, c’est la rencontre d’une personne rayonnante, qui a connu des moments difficiles voire insupportables, qui a côtoyé la souffrance d’autrui et qui s’en est relevé, et qui continue son chemin tout en  communiquant sa sérénité. 

Cette personne, c’est Norin Chai, vétérinaire en chef de la ménagerie du jardin des plantes, moine bouddhiste, qui a travaillé en plusieurs endroits de la planète pour soulager la souffrance animale.

Norin Chai ne se contente pas de soulager cette souffrance, il partage aussi ses connaissances du monde animal et ses convictions les plus profondes concernant l’humanité, et explique dans cet ouvrage, comment nous pourrions prendre les animaux en modèles pour mieux vivre en société, pour respecter notre corps agressé de bien des façons, et envisage même la possibilité d’un avenir plus serein pour l’humanité tout entière.

Il nous invite à observer les animaux sauvages comme domestiques, il met en évidence leur extrême sensibilité et leur capacité à communiquer par le ressenti des émotions de leurs pairs, insistant sur le fait que le langage a fait en grande partie perdre à l’homme cette possibilité de percevoir les émotions de ses semblables.

Il décrit des animaux capables de coopération, d’entraide voire d’empathie, des animaux qui se contentent d’assouvir leur faim, de consommer ce dont ils ont besoin sans excès, des animaux qui ne jugent pas sur l’apparence, le comportement, qui ne font pas de discrimination. 
Il précise que les animaux « ne sont pas des saints, la nature est souvent cruelle et il démontre que certaines espèces sont capables de se livrer des guerres à l’instar des chimpanzés, et énumère des cas de violence dans le monde animal, tout en soulignant que ces violences ne font aucunement l’objet de jugement : le lion pourchasse l’antilope, et s’en nourrit parfois avant qu’elle soit morte, ce n’est ni bien, ni mal, c’est la nature.

Il décline ensuite les inventions humaines liés à l’observation des animaux, en aviation, en architecture, en mécanique, et dans des détails de la vie de tous les jours où des inventions dignes du concours Lépine ont vu le jour parce que des êtres vivants possédaient certaines qualités propres à faciliter notre quotidien, voire remédier aux effets désastreux de certaines catastrophes écologiques.  

Il termine son ouvrage par des questions métaphysiques pour lesquelles il possède des réponses, ou pas, réponses basées sur l’observation de rites et de pratiques chez certaines espèces.

Il n'omet pas de mentionner sa pratique professionnelle qui atteste  d'un amour, d'un compréhension et d'un grand respect des animaux.

J’ai eu la chance d’assister à un échange avec l’auteur de cet ouvrage passionnant et je ne le regrette pas car cette personne, ô combien altruiste, est d’une grande sincérité et communique volontiers sa joie de vivre et son expérience.

jeudi 10 mai 2018


Alice au Pays des merveilles.
De l'autre côté du miroir.


Lewis Carroll
Illustration de Pat Andréas.
Traduction  Henri Parisot

   
  Voici une œuvre fascinante et divertissante qui méritait vraiment de naître une nouvelle fois sous le pinceau de Pat Andréas, peintre et sculpteur néerlandais qui a exposé en 2007, pas moins de 48 toiles pour illustrer l’œuvre de Lewis Caroll.

Ces peintures déroutantes aux personnages et à l’environnement inquiétants tantôt colorés tantôt gris, simplement esquissés, n’ont pas fini interpeller le lecteur. 

Le peintre désirait pénétrer intimement l’œuvre de l’écrivain et il y est parvenu : il représente en effet une Alice dans tous ses états, toutes ses personnalités, tous ses âges, une Alice expressive chez qui transparaît l’ennui, la colère, la peur, une Alice qui semble sur certaines représentations, communiquer avec le lecteur. L’artiste met en évidence la fantaisie omniprésente dans l’œuvre, souligne le côté angoissant que peut revêtir le roman, quelques productions laissant volontiers transparaître une certaine violence : une représentation de la scène de la duchesse qui berce son bébé en tons de gris (fusain peut-être), et montre une femme aux allures de psychopathe, montrant une jambe avec un bas, l’autre nue, avec une regard menaçant, tenant sur ses genoux un cochon aux pieds humains, au-dessus de son épaule, une assiette sur laquelle est posée la tête d’Alice, deux servantes se lancent des assiettes et dans un coin, le chat du Cheshire sourit de toutes ses dents, ce chat ressemble aux photos dérangeantes qui circulent sur internet, images  retouchées d’animaux à qui on a inséré des yeux, des bouches, des nez humains.

 Pat Andréas me semble faire beaucoup de clins d’œil dans son œuvre : le chat rappelle dans certaines de ses postures, « la bête »   tandis qu’Alice paisible jeune fille au visage reposé et recueilli prendrait des airs de « la belle », les montres molles de Dali trouvent leur place non loin du chapelier fou, une autre planche montre des visages qui rappellent l’œuvre de Pablo Picasso. 

  Rappeler des œuvres de ces peintres n’est évidemment pas un hasard, Pat Andréas ajoute du surréalisme au surréalisme présent avant l’heure dans l’œuvre de Lewis Carroll.
Ce partenariat est une belle occasion pour moi de faire le point : j’ai toujours été une passionnée de ce fabuleux roman et je n’ai jamais écrit une ligne à son sujet, alors il est toujours temps de le faire.
Pourquoi j’aime « Alice au pays des merveilles » suivi de l’autre côté du miroir » ?

  Je souhaiterais avant toute chose rappeler, particulièrement à des lecteurs qui n’aurait pas apprécié sous prétexte de se trouver face à un livre pour enfant, qu’à l’origine, ce roman n’était absolument pas écrit pour les enfants et qu’Alice au pays des merveilles regorge d’allusions, de critiques d’une certaine société de l’époque, de parodies de poèmes anglais, et que Lewis Carroll y a mis de façon codée souvent, et inconsciente peut-être parfois,  des éléments de sa vie, y a inclus des personnages qui ne sont autres que des personnes présentes alors dans son entourage.D’aucuns affirmeront même qu’à travers le dodo, qui ne serait autre que notre Charles Ludwidge Dodgson, il laisse deviner quelque attirance pour Alice.

Donc pourquoi cette passion pour ce roman-conte : simplement parce qu’il contient tout ce que j’aime : le surréalisme, la fantaisie et les propos absurdes de la majorité des personnages contrastant avec le savoir « académique » d’Alice, les jeux de mots, la possibilité d’évoluer dans un monde qui laisse place à la créativité, les situations imaginées par Lewis Caroll , les jeux de langage très intéressants à étudier dans le présent ouvrage puisque chaque page est écrite avec la version française en haut de page, et la version originale en bas, ce qui permet des comparaisons plus faciles entre la version originale et la traduction.

J’ai relu Alice au pays des merveilles donc, et je crois pouvoir le relire un certain nombre de fois encore tant on y découvre à chaque lecture de subtilités qui pourraient avoir échappé lors des lectures précédentes, et il en est de même pour l’écrit qui suit : Alice : de l’autre côté du miroir, plus ardu à parcourir et qui ne se lit pas de la même façon, quoiqu’aussi délicieux à aborder. 

De l’autre côté du miroir regorge autant d’absurde, de règles contraire à la logique, en y ajoutant une mission pour notre héroïne : devenir Reine en se déplaçant sur l’échiquier à la manière d’un pion et en y rencontrant des personnages avec qui elle engage une conversation bien délirante pour le lecteur, mais ô combien délicieuse.

La difficulté de cette lecture réside notamment dans le fait que l’on se retrouve de l’autre côté d’un … miroir, il faut donc … réfléchir ;-))) : les éléments y sont inversés : on court très vite pour rester sur place, on se souvient de l’avenir, on mange un gâteau sec lorsque l'on a soif, on soustrait neuf de huit… on vit dans un « monde à l’envers » dans tous les sens du terme.

Je suis ravie d’avoir reçu ce livre de la part des Edition « Diane de Sellier » c’est un livre magnifique illustré par un artiste que je ne connaissais pas et que j’ai eu la chance de découvrir, dont l’histoire bénéficie des services d’un traducteur compétent. 
La traduction comporte des renvois et explications au sujet du choix des mots vraiment très intéressants. Il faut dire que la traduction de cette œuvre imprégnée de culture anglaise n’est certainement pas aisée.

Alice au pays des merveille, adapté ou pas pour les enfants se mérite : si vous souhaitez aborder cette œuvre, faites-le en adulte, cela s’avère indispensable mais pour l’apprécier doublement, il faut pénétrer dans l’univers d’Alice et quelque part, conserver une âme d’enfant.

Je remercie Babélio et Les éditions Diane de Sellier pour ce partenariat.




mardi 1 mai 2018


Où passe l'aiguille



    Le titre de ce magnifique roman fut pour moi un bon sujet de méditation et de questionnement : où passe l’aiguille… 

  L’aiguille, c’est très précisément le tout petit objet très piquant, capable de pénétrer partout, de s’insinuer, de se faire une place, et surtout d’offrir des laissez-passer. Sans l’aiguille, point de salut ! L’aiguille donc,  qui s’exprime dans les mains d’Herman Kiss, maître tailleur de son état, qui aurait prospéré s’il n’avait pas été un juif dans les années 40, privé de droits élémentaires, enfermé avec sa famille dans un dépôt pour plusieurs semaines, déporté vers pas moins de trois camps de concentration, en partie séparé des siens.

  Mais l’aiguille, je vais me permettre d’affirmer que c’est également son fils Tomy, narrateur principal et héros dans tous les sens du terme. Tomy est le narrateur principal, il est âgé de 15 ans lorsque les Allemands s’installent en Hongrie, terre natale de la famille, il est en opposition constante avec son père, refuse d’apprendre le métier de tailleur, se comporte comme une véritable anguille capable de passer au travers les mailles d’un filet, si étroites soit-elles, personnage plein de finesse et d’esprit, dont on boit les paroles aussi bien dans la première partie pendant laquelle il ne sait pas encore ce qui l’attend, que durant le long exposé de sa vie en camps de concentration. Jeune homme plein de ressources, intelligent et débrouillard, il se sortira de situations souvent désespérées en se servant en grande partie de l’aiguille, lui qui avait auparavant refusé tout contact de près ou de loin avec cet outil.

 Il est entouré au début de l’histoire parce qu’il appelle "les siens" : Son père, Herman, sa mère, son frère Gabor dit Gaby, son oncle, Serena, une jeune fille à l’avenir prometteur qui lit tout ce qui lui tombe sous la main, et quelques relations créées en déportation. 

 Mais la liste " des siens" va s’amenuiser et on pénètre avec lui dans le camp de Dora-Mittelbau, en Allemagne où on n'est plus rien, on n’a plus qu’un numéro de matricule en guise de nom, ou il faut vivre chaque minute comme si c’était la dernière de sa vie, dans la souffrance physique, morale, dans la crasse, le froid, rester debout dans l’adversité.

Mais l’aiguille sauvera…

 Premier roman de mon top 10 de l’année, cet écrit a imprimé en moi des  traces indélébiles : un parcours hors du commun sans être irréalisable, une leçon de vie et de courage, des sentiments variés et parfois contradictoires : de l’extrême tristesse à l’hilarité, de la colère et du dégoût à la volupté, de la mélancolie à l’euphorie…

 le récit de Tomy se lit aisément, l'écriture est fluide et la narration est entrecoupées de témoignages des personnages qui évoluent dans l'histoire : le père sous forme de lettres à sa femme, des amis de Tomy, du frère, et d'autres narrateurs qui interviennent dans la deuxième partie du roman.

Lisez cette pépite et même plus ! 
Véronique Mougin est également l’auteure de « pour vous servir », mais ce roman sera certainement l’objet d’une très prochaine critique.