Houris
Kamel Daoud
Ed Gallimard, 15/08/2024, 416 pages
Cette guerre, je m’en souviens
comme si c’était hier. Sur mon lieu de travail, je côtoie beaucoup d’Algériens,
leurs enfant se montraient agités, comme leurs parents, ils ne parvenaient pas
à exprimer la violence contenue dans leur esprit, les familles n’en parlaient
pas devant les enfants, mais les enfants ont un sixième sens, il voyaient bien
que leur parents n’appelaient plus leur famille au pays, et que s’ils joignaient
de temps à autres, un aïeul, c’était pour n’obtenir que très peu de nouvelles,
le peuple se taisait, et nous enseignants, on ne prenait connaissance des
exactions des islamistes que par radio interposée, ces années furent terribles !
C’est donc pour assouvir un
besoin d’information , bien des années après, que j’ai ouvert ce livre et
constaté l’indicible, très bien exprimé par une jeune femme que l’on a privée
de ses cordes vocales, une jeune femme enfermée dans son corps, ne témoignant
que par le biais d’une canule, pas n’importe quelle canule, une canule qui gêne
et qui constitue une trace des horreurs vécues par le peuple algérien, une
canule à laquelle Imams et policiers tournent
le dos puisque cette guerre est plus qu’occultée et qu’il est interdit d’en
parler, ce qui empêchera les familles des victimes d’obtenir reconnaissance et
justice.
Aube, par sa langue intérieure,
communique avec la fille qu’elle ne souhaite pas voir naître, qu’elle se refuse
de voir soumise aux hommes, aux lois des imams et donc de Dieu, elle lui
transmet son désir de la supprimer, ce leitmotiv ponctue le roman, et avec les
noms affectueux de la mère envers sa fille, (ma Houri, ma lune, ma fillette…) confèrent
à son récit une certaine ambiguïté, ambiguïté d’une mère dans l’attente, et d’une
femme désirant supprimer son enfant par amour pour lui éviter les épreuves.
Si Aube évoque les événements de
la décennie noire particulièrement ce qu’elle à vécu étant enfant, un autre
personnage, Aïssa, déploie le livre de la guerre, attribue à chaque chiffre qu’il
entend, une date et raconte les crimes des égorgeurs, et on réalise à quel
point les meurtriers se sont disséminés dans une Algérie exsangue, les meurtriers,
on les retrouve dans le témoignage de cette femme, jugée terroriste qui raconte
son histoire à Aube.
Et Fajr (Aube) décide de
retrouver sa sœur défunte là ou elle fut enterrée pour lui demander de décider
du sort de l’enfant qui grandit en elle. Plus qu’un pèlerinage vers le lieu ou
elle est morte, et ou elle naît une nouvelle fois, on assiste à une errance, de
nouvelles épreuves au cours desquelles elle montrera son impuissance face à la
domination des hommes, à la loi de Dieu, à la condition des femmes soumises.
Ce roman était indispensable
pour témoigner d’une guerre qui, comme celle que nous avons connue en Europe
avec toute la violence qu’elle a engendrée, devrait imposer un devoir de
mémoire.
La lecture fut longue, des
pauses m’ont été nécessaires pour pouvoir poursuivre ma lecture et apprécier le
beau texte de Kamel Daoud. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une de mes pépites de l’année,
pour ma part, ce récit marquant ne tombera pas dans l’oubli.
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