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dimanche 26 mai 2024

 Client mystère












Mathieu Lauverjat,

Ed Scribes, 12/01/2023, 240 pages


Autrefois, il y avait des cireurs de chaussures, des porteuses de pain, et même dans certains pays d’Europe, des réveilleurs, petits métiers et situations précaires, qui permettaient de se nourrir et se loger souvent misérablement, ou fournissaient de quoi augmenter quelque peu les revenus d’une famille.  Aujourd’hui la précarité n’a pas disparu, bien au contraire, le narrateur de client mystère nous en fait une magnifique démonstration, avec un paramètre non négligeable à ajouter : le stress engendré par le devoir d’efficacité, la déshumanisation du monde du travail, l’obligation de rendement.

Notre héros, victime d’un accident alors qu’il livrait une pizza, on constatera d’ailleurs ce que l’on soupçonne quand on croise des livreurs de repas, que pour être rentable, il faut foncer, braver les dangers et risquer sa vie pour gagner trois fois rien. C’est ce qui se passe pour notre livreur : nez dans le portable par temps de pluie, tête baissée pour gagner un bonus, il se fracasse l’épaule contre une voiture. Et adieu les livraisons de pizza, il n’existe plus pour la plateforme… Il trouvera mieux, du moins le croit-il, car l’agence PMGT est là, il devient « client mystère », on lui confie des missions : contrôle des normes dans les commerces, respect du client, conformité des affichages… Les missions pleuvent, what else ?

Ce roman est un brillant exposé de ce que peut devenir le monde du travail, il est pourtant déjà bien inhumain si on considère les rapport entre les individus au sein de la hiérarchie, mais dans ce récit extrêmement bien documenté, on atteint des summums : on oublie complètement le côté humain, notre narrateur n’a donc pas à se poser de question sur le devenir d’un employé lambda, sur la pérennité d’un commerce, il répondra aux questions, sans état d’âme, quitte à y laisser son bien-être, son moral, sa considération pour ses pairs, il devra se déshumaniser pour pouvoir continuer.

La hiérarchie, parlons en : une jeune femme aussi embrigadée que son subalterne, en plus inhumain, et une application qui dicte les missions, merci les intelligences artificielles ! Le plus dérangeant et tragique, c’est que si l’on pense à notre petite vie confortable, on se rend compte que l’on encourage ces façons de procéder en ayant recours à bien des services qui sont entrés dans nos habitudes.

Le côté stress aliénation est très bien rendu : un rythme de narration effréné, un auteur qui jongle avec les anglicismes, la description des faits et gestes de ce héros qui vit dans l’urgence constante, tout cela aboutit à un roman très efficace qui mérite d’être lu par le plus grand nombre afin d’éveiller les consciences.

Un roman original qui devrait devenir une référence en ce qui concerne l’aliénation par le travail.

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