Client mystère
Mathieu Lauverjat,
Ed Scribes, 12/01/2023, 240 pages
Autrefois, il y avait des cireurs de chaussures, des
porteuses de pain, et même dans certains pays d’Europe, des réveilleurs, petits
métiers et situations précaires, qui permettaient de se nourrir et se loger
souvent misérablement, ou fournissaient de quoi augmenter quelque peu les
revenus d’une famille. Aujourd’hui la
précarité n’a pas disparu, bien au contraire, le narrateur de client mystère
nous en fait une magnifique démonstration, avec un paramètre non négligeable à ajouter :
le stress engendré par le devoir d’efficacité, la déshumanisation du monde du travail,
l’obligation de rendement.
Notre héros, victime d’un accident alors qu’il livrait une
pizza, on constatera d’ailleurs ce que l’on soupçonne quand on croise des livreurs
de repas, que pour être rentable, il faut foncer, braver les dangers et risquer
sa vie pour gagner trois fois rien. C’est ce qui se passe pour notre livreur :
nez dans le portable par temps de pluie, tête baissée pour gagner un bonus, il
se fracasse l’épaule contre une voiture. Et adieu les livraisons de pizza, il n’existe
plus pour la plateforme… Il trouvera mieux, du moins le croit-il, car l’agence
PMGT est là, il devient « client mystère », on lui confie des
missions : contrôle des normes dans les commerces, respect du client,
conformité des affichages… Les missions pleuvent, what else ?
Ce roman est un brillant exposé de ce que peut devenir le
monde du travail, il est pourtant déjà bien inhumain si on considère les
rapport entre les individus au sein de la hiérarchie, mais dans ce récit
extrêmement bien documenté, on atteint des summums : on oublie
complètement le côté humain, notre narrateur n’a donc pas à se poser de question
sur le devenir d’un employé lambda, sur la pérennité d’un commerce, il répondra
aux questions, sans état d’âme, quitte à y laisser son bien-être, son moral, sa
considération pour ses pairs, il devra se déshumaniser pour pouvoir continuer.
La hiérarchie, parlons en : une jeune femme aussi
embrigadée que son subalterne, en plus inhumain, et une application qui dicte les
missions, merci les intelligences artificielles ! Le plus dérangeant et
tragique, c’est que si l’on pense à notre petite vie confortable, on se rend
compte que l’on encourage ces façons de procéder en ayant recours à bien des
services qui sont entrés dans nos habitudes.
Le côté stress aliénation est très bien rendu : un
rythme de narration effréné, un auteur qui jongle avec les anglicismes, la
description des faits et gestes de ce héros qui vit dans l’urgence constante, tout
cela aboutit à un roman très efficace qui mérite d’être lu par le plus grand
nombre afin d’éveiller les consciences.
Un roman original qui devrait devenir une référence en ce qui
concerne l’aliénation par le travail.
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