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jeudi 17 octobre 2024

 

Les gratitudes











Delphine de Vigan

Ed JC Lattès, 6/03/2019, 192 pages, 



Ce merveilleux roman m’a happée dès les premières lignes, d’abord parce qu’il introduit dès le départ la notion de « gratitude », ensuite parce que je me suis très rapidement attachée à cette charmante personne, Michka que l’on a envie de protéger, d’aider, qui, malgré ses difficultés de communication, transmet son ressenti par le canal du « non-dit » ainsi que par les opinions qu’elle partage en toute discrétion. Petite violette discrète au milieu des herbes hautes, elle nous amène à faire plus ample connaissance de Marie, sa voisine, de Jérôme, orthophoniste.

Les personnages posés, on se retrouve confronté à des situations que nous avons connues ou que nous connaîtrons : la difficulté de se voir vieillir, de perdre sa mémoire, et dans le cas de Michka, ses mots, une difficulté de restitution des idées malgré une tête encore pensante capable de lire le Monde, capable d’évaluer les épreuves subies par son entourage. Et puis vient l’épreuve du placement en maison de retraite qui ne peut laisser indifférent : savoir que la personne va devoir abandonner son milieu de vie, son confort, devoir faire des concessions, accepter de partager sa vie avec des personnes qui lui sont étrangères, tout recommencer à un âge ou on ne devrait pas avoir à s’adapter à nouveau…

Le tout repose sur un lit de gratitudes, comme le dit si bien Delphine de Vigan, car chaque personnage dans cette histoire, réalise le devoir qui est le sien : la reconnaissance : reconnaissance de Marie, à qui Michka a autrefois tendu la main, reconnaissance de Jérôme à l'égard de Michka  qui lui suggère d'exprimer ses regrets, reconnaissance de Michka  à la recherche de son passé et épaulée par Marie et Jérôme.

Un beau roman où se côtoient, douceur et violence, bonheur et amertume sur fond d’une belle délicatesse.

Je regrette de n’avoir pas fait plus vite cette magnifique découverte !

dimanche 6 octobre 2024

 Les âmes fragmentées













Charlotte Monserrat

Ed Anne Carrière, 3/02/2023, 246 pages


Ce livre nous emmène dans un monde qui peut faire frémir parce que pas si éloigné que le monde dans lequel nous vivons. Bien sûr, nous ne sommes pas encore rémunérés en unités carbones, et nous n’avons absolument pas la possibilité de déflorer la mémoire d’autrui, mais ce monde décrit par Charlotte Monserrat semble bien être l’aboutissement de situations comme nous en connaissons aujourd’hui. Ce monde, on le découvre très progressivement, par informations insérées dans le récit avec parcimonie, ce qui donne une certaine finesse au roman et brise la monotonie que l’on pourrait ressentir à la lecture de certains passages, notamment un passage un peu ésotérique décrivant une cérémonie avec pratique chamanique.

Bienvenue dans ce monde ou, point positif, l’homophobie n’existe pas, bienvenue dans un monde où la richesse est plutôt rare, ou la pauvreté est répandue, où manger varié est un luxe.

Et puis il y a une intrigue : Véro, notre héroïne qui « dérushe » les sphères pour extraire les mémoires de défunts qu’elles renferment, observe sa propre personne dans des scènes érotiques avec le docteur Becker, inventeur du procédé qui permet de capturer les mémoires. Becker, bien que s’étant suicidé, est toujours au cœur des polémiques. On accompagne donc notre héroïne dans sa recherche de la vérité, déterminée à élucider les mystères qui portent atteinte à son identité, qui occultent les raisons qui expliquent certains de ses choix, qui l’empêchent d’être elle-même. Si l’on constate que les personnages sont plutôt statiques en début de roman, on constatera que l’action se fait plus rapide voire violente à l’approche du dénouement.

Ce livre en dit long sur l’importance de l’identité, sur le non-dit, sur le nécessaire travail de deuil.

Un bon roman qui analyse en profondeur, les réactions des individus.