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dimanche 5 octobre 2025

 L’appelé












Guillaume Viry

Ed du canoë, 06/09/2024, 160 pages


Pour exprimer sa souffrance, son dégoût, peu de mots suffisent, et c’est ce que nous amène à comprendre Guillaume Viry dans ce roman surprenant.

D’abord étonnée par le style d’écriture sans aucune ponctuation, succession de lignes très courtes, écriture qui paraît hachée, j’ai failli abandonner, mais quelque chose me retenait, sans doute quelques mots échappés du texte m’ont-ils interpellée.

Peu de mots ont suffi pour comprendre la folie du héros, Jean, pour comprendre son mal-être, pour comprendre qu’il n’a pas choisi son destin, que la guerre d’Algérie s’est imposée, qu’il a subi l’horreur des massacres, qu’il est devenu témoin du viol et de la torture.

Ce livre m’a bouleversée, d’autant plus que je connais quelques personnes qui aujourd’hui ne sont  plus de ce monde et qui ont dû par malchance, effectuer leur service militaire au mauvais moment, avec en guise de formation, la guerre. Combien en sont revenus indemnes ?

Ce roman est marquant par les idées qu’il véhicule, et laissera une trace dans ma mémoire car j’ai vraiment trouvé géniale l’expression du ressenti par un choix minutieux des mots. Une œuvre d'art qu'il faut étudier, observer pour en extraire la substantifique moëlle.

Un premier roman très réussi.

mardi 30 septembre 2025

 Le malheur des uns












Frédéric Ernotte

Ed If, 10/02/2025, 393 pages


Je découvre un curieux roman que je croyais au début, parsemé d’humour noir. Il faut dire que le sujet s’y prêtait, et l’auteur attribuant une bonne dose de méchanceté au héros, Renan, auto-entrepreneur organisant à la demande, des mauvais tours destinés à venger les clients qui se présentent. Il est vrai que certaines vengeances sont cocasses : générer une mauvaise odeur générale dans une coquette maison, ça fait tout de même sourire, et Renan s’applique ! On se demande au départ si l’auteur ne fait pas une qualité de la méchanceté.

Renan donc, chef d’entreprise, travaille avec ses deux employés : Sam et Marie-Alice, dite Malice. Chacun ayant plus d’un tour dans leur sac.  Et Renan, blanc comme neige rentre chez lui chaque soir pour de paisible soirées avec sa femme et sa belle-fille, les deux êtres qu’il aime le plus au monde. Officiellement, il travaille dans une agence immobilière, gagnant honnêtement le salaire qui fait vivre la famille. Et il tient à garder secrète cette double vie.

Mais un individu entre en jeu : il est intelligent, bien placé et il demande à Renan la liste des gens qui ont « bénéficié » de ses « services », sans quoi, il risque de constater quelques « perturbations dans sa vie »

Vous l’aurez compris, il s’agit d’un thriller psychologique, le méchant n’est plus Renan, mais le maître chanteur, et le ton monte du début à la fin, Renan se retrouve comme bombardé par une arme redoutable, le genre de bombe qui en l’air libère d’autres bombes de façon exponentielle. On ne connaîtra le mobile du maître chanteur qu’à la fin.

Par moment, j’ai eu envie de lâcher le roman en considérant le combat comme perdu pour le héros, car si Renan a bien saisi la portée des actions de son harceleur, je ne l’ai comprise qu’au fil du roman. Un roman psychologique comme celui-ci a vraiment autant de portée et peut-être même plus que si l’on baignait dans l’hémoglobine. Ce qui n’est pas le cas.

J’ai adoré ce roman, en pardonnant les aspects qui le rendent parfois peu crédible : comment peut-on mentir ouvertement à sa famille alors que l’on est dans la tourmente, que le ciel menace de vous tomber sur la tête, comment les autorités peuvent ignorer l’existence de cette entreprise ? La réaction d’un personnage que je tairais, me paraît également bien légère par rapport aux événements vécus.

J’ai parfois eu des difficultés à me faire une opinion, devais-je sourire ou pas face à certaines situations ? Il me semble après lecture que non. Je peux toutefois affirmer que cette histoire m’a amenée à me poser bien des questions !

samedi 20 septembre 2025

 Nourrices

 











Séverine Cressan,

Ed Dalva, 21/08/2025, 272 pages


Une nouvelle pépite pour 2025 que ce livre racontant un fait historique que je ne soupçonnais pas. J’ai pris une claque en lisant ce roman.

Les femmes, de tout temps, ont dû combattre pour accéder à la dignité, rien ne leur fut épargné.

Cette histoire commence doucement, le livre nous absorbe dans une ambiance très douce grâce à une écriture magnifique et entre les bras de mère Nature. Ambiance relaxante, profitons en, car on plonge très vite dans le quotidien de Sylvaine, mère d’un petit garçon, et nourrice de Gladie qu’elle est allée chercher dans une famille bourgeoise de la ville afin d’assurer la nourriture de la famille, son homme, bûcheron vendant son bois n’amasse pas fortune, les femmes riches ne voulaient ou ne pouvaient allaiter.

On comprendra comment Sylvaine en arrive à vendre ses services de « laitière » : les femmes sont réunies, tâtées, acceptée ou non par une organisation d’hommes (meneur, médecin) secondés par la recommandaresse  (recruteuse). Les passages racontant cette embauche sont révoltants, les femmes sont devenues du bétail, rassemblées dans la promiscuité, souffrant des montées de lait, abaissées, humiliées.

Le trafic ne s’arrête pas qu’au recrutement, les abandons de nourrissons sont fréquents, leur sort peu enviable.

Peu d’informations sur la période, entre le XVIIIème et le XIXème siècle, quant au lieu, quelques indices disséminés dans le roman indiquent qu’on est en Bretagne, mais peu importe, cette pratique connut son heure de gloire un peu partout en France.

Parmi les personnages, deux montrent des qualités humaines : Sylvaine dont on ressent très fort la fibre maternelle et Margot, dite la vieille, la guérisseuse, accoucheuse dévouée que j’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver au fil de l’histoire, elle montre une belle expérience et une grande compétence avec les femmes qu’elle prend en charge et elle se met au service de quiconque vient demander de l’aide, belle âme vient en aide sans juger.

D’autres inspirent le dégoût : le meneur qui profite de la pauvreté des femmes et le fermier que l’on rencontre dans les chapitres en italique, passage qui racontent l’histoire, sous la forme d’un cahier écrit par une jeune femme inconnue qui se dévoile peu à peu.

Ce roman est magnifique, la violence qui aurait pu être insupportable parce tirée de faits réels, est adoucie par l’écriture, les belles descriptions de la nature, la bonté des personnages principaux, le soupçon de magie qui saupoudre certains passages.

Un excellent premier roman qui mériterait récompense !

 

 

 

mardi 16 septembre 2025

 

Je résiste aux personnalités toxiques













Christophe André et Muzo,

Ed points,  24/03/2011, 240 pages


On en rencontre dans tous les milieux, il sévissent sans prévenir, c’est certainement dans le milieu professionnel que l’on est confronté à ces personnages, mais ne nous mentons pas, on en retrouve en famille, dans les loisirs, à l’arrêt de bus, dans les commerces, dans les trains, bref, dans l’espace public.. Qui n’a jamais eu à profiter de la vie de famille d’un parfait inconnu via le mobile ? Qui n’a jamais vu ses projets retardés par un collègue particulièrement lent et tatillon, qui ne s’est pas senti énervé par l’individu qui aime avoir un public ou par le winner qui se la pète et écrase les autres ? Je veux bien sûr parler des casse-pieds tout en ayant conscience, comme le dit si bien Christophe André, que chacun de nous peut être le casse-pieds de quelqu’un d’autre, je l’ai constaté en lisant cet ouvrage.

Après les généralités d’usage et même plus, l’auteur procède chapitre par chapitre en exposant un trouble nouveau, c’est ainsi qu’il passe en revue le narcissique, le négativiste, la personnalité paranoïaque, la personnalité histrionique, le stressénervé, le pervers la personnalité passive-agressif.

Les chapitres suivent tous le même plan : une petite BD humoristique, un test pour voir si on a cette personnalité, une description du trouble, quelques lignes qui indiquent quand le cap pathologique est dépassé, quelques exemples dans l’histoire, les croyances des personne atteintes du trouble, comment cohabiter avec les personnes qui souffrent de ce trouble, et ce qu’on doit à ces personnes,

Riche de conseils pour aborder sereinement le collègue, le beau-frère ou le co-équipier, Christophe André nous invite à plus de tolérance et nous indique les comportements à adopter ou pas face à de telles personnes.

Les tests m’ont fait sourire et montrent combien nos défauts nous rapproche de ces troubles, non je ne suis pas passive-agressive, mais il peut m’arriver de refuser d’obtempérer, non je ne suis pas paranoïaque, mais j’aime bien que la porte de ma maison soit fermée, on je ne suis pas négative, mais suivant mon état de fatigue, ou les événements de ma journée, je peux avoir une vision plus pessimiste…

J’aurai envie par rapport aux ouvrages de ce genre à vouloir mettre en garde, ce n’est pas un livre à livre dans le but d’étiqueter les gens et de les figer mais bien dans la perspective de s’adapter pour des relations satisfaisantes.

J’ai beaucoup aimé le style humoristique de Christophe André secondé pour la partie graphique par Muzo. Un livre avec lequel on apprend en souriant !

dimanche 14 septembre 2025

 

Pachinko













Min Jin Lee

Ed Harper Collins poche, 12/01/2022, 640 pages


En son début, une humble petite pension où sont hébergés les gens de passage, et les pêcheurs. Bien qu’il ne commence pas par « Il était une fois », les premières lignes de ce roman semblent nous inviter à lire un conte : « un vieux pêcheur et sa femme… »  Cette histoire commence en Corée du Sud, mais à l’époque, la Corée n’était pas scindée en deux. Au tout début, on observe la source, une toute petite source : le pêcheur et sa femme, qui auront trois fils dont un seul, survivra, ce fils, Honnie, par l’intermédiaire d’une « marieuse », est uni à Yangjin, le couple donnera Naissance à Sunja, avec elle, la source devient ruisseau, rivière, puis fleuve : on voit apparaître peu à peu un grand nombre de personnages qui font du conte une saga en un énorme tome, dans lequel on avance  avec plaisir.

L’histoire commence vers 1910, année au cours de laquelle le Japon annexe la Corée. Nombre de Coréens pauvres migrent vers l’empire du soleil levant, bien qu’ils y soient mal accueillis, exploités, devant travailler pour des salaires de misère.

C’est dans ce contexte que Sunja, tombe enceinte, refuse le mariage avec Koh Hansu, amant de quelques semaines, marié et père de trois filles. Sunja sera marié à Isak, pasteur protestant qui part tenter sa chance au Japon. C’est là que commence notre Saga.

L’évolution des personnages est très intéressante : en 1910, on marie les jeunes filles moyennant une dot, l’affaire se règle entre les parents. Plus tard au japon, la femme ne peut être l’égal de l’homme, toutefois elle acquiert très progressivement plus de liberté. Il est intéressant d’observer le parcours de Sunja, femme travailleuse volontaire et courageuse, qui se démène pour le bien-être des sien, mère originelle et âme de la famille, elle traversera de lourdes épreuves, méritant le qualificatif de « belle personne ». Sur son chemin on verra évoluer sa famille sur quatre générations. Il est intéressant d’observer cette la progression des personnages dans le temps, entre 1910 et 1980, les mentalités, les moyens matériels, les situations professionnelles évolueront.

Les événements historiques ne sont que survolés, c’est dommage, mais l’on comprend qu’aux yeux de l’autrice, la place des personnages et leur devenir dans un contexte dont on se doute, est prioritaire. Si Hiroshima et Nagasaki ne sont pas mentionnées, on en constate aisément les effets à travers les épreuves subies par les protagonistes.

De nombreux sujets sont abordés dans ce roman : racisme envers les coréens, seconde guerre mondiale, division de la Corée, régime totalitaire au Japon, particulièrement entre les années 1930 et 1940, culture coréenne…

Je suis heureuse d’avoir appris tant de choses, d’avoir été invitée à comprendre les retombées d’événements majeurs sur une population et d’aborder l’histoire d’un groupe humain que je ne connais pas.

 

A retardement












Franck Thilliez

Ed Fleuve noir, 2/05/2025, 456 pages


Quelle joie de retrouver l’ami Franck Sharko et ses partenaires, cela fait quelques années maintenant que nous nous donnons rendez-vous pour de nouvelles aventures, mais c’est à présent bien plus qu’une enquête mouvementée. Depuis toutes ces années, j’ai l’impression d’avoir pénétré l’intimité de l’équipe la plus performante du 36, mais également la plus sensible, la plus unie pour le meilleur et pour le pire.

On n’oublie pas les épreuves endurées par Lucie Hennebelle, par Franck à ses débuts, alors que ce couple mythique n’était lié que par le boulot, on est bien conscient de la fragilité de Nicolas. Qui supporterait ce qu’il a enduré, on comprend le lien qui les unit et je trouve cela magnifique.

Dans ce dernier roman, très bien documenté, comme tous les romans de l’auteur, il sera question de folie, pas n’importe laquelle : la schizophrénie qui amène sur scène, Eléonore, une jeune femme, psychiatre de son état, bien téméraire et qui ne se montre pas consciente du danger. On se retrouve confronté à d’horribles meurtres (qui connaît cette série sait à quoi s’attendre avant d’ouvrir le livre !), on côtoie des créatures, éléments de phobie d’un grand nombre d’individus sur terre, les lecteurs ne sont pas épargnés : lombrics, tænias, araignées, ça crée une belle ambiance, et les crimes sont tellement effroyables que je me suis protégée en essayant d’en rire et en régalant mon entourage de belles descriptions. Souffrance physique comme psychologique sont au programme ! On ne s’ennuie pas.

Au milieu de toute cette hémoglobine, et cette boucherie, j’ai tout de même trouvé que mon chouchou Franck était plutôt effacé dans ce tome, il apparaît, silencieux souvent, pensif, l’auteur le dit âgé, oui un peu mais là il me fâche un petit peu ! Disons que Sharko fatigue, on comprendra, il en a tant enduré ! Il subit encore une épreuve qui enverrait un individu à l’hôpital pour plusieurs mois.  Il continue néanmoins à se montrer humain et ne s’efface pas sans raison : il laisse une belle place à Nicolas Bellanger qu’on a envie de voir évoluer, refaire sa vie et sourire à nouveau.

Vivement le prochain tome, (il va sans doute falloir attendre encore), je me demande d’ailleurs où en sera Franck, j’espère qu’il n’a pas encore envie de prendre une retraite qu’il mériterait amplement. Ce livre, de façon évidente, promet une suite, il suffit d’examiner la situation de certains personnages pour le comprendre.

J’attends donc avec impatience de retrouver ces amis auxquels je pense souvent en dehors de toute lecture. Je ne l’ai pas lu dès sa sortie, je le gardais pour les vacances et je l’ai fait durer, j’en suis là avec cette série ! aux lecteur qui n’ont jamais lu de livre de Franck Thilliez : âmes sensibles s’abstenir. 

samedi 23 août 2025

 Le silence de la ville blanche













Eva García Sáenz de Urturi

Ed Fleuve noir, 10/09/2020, 560 pages


Je viens de faire une magnifique découverte, et pour ma plus grande joie, je m’aperçois qu’il s’agit du premier tome d’une trilogie ! En fait il y a quatre tomes, de quoi agrémenter les longues soirées d’hiver, quel bonheur !

J’étais à la recherche d’un roman écrit par un écrivain hispanophone ou lusophone pour le challenge multi-défis, et je tombe par hasard sur ce thriller, mon genre préféré donc.

Si le héros, un inspecteur de police qui, s’il apparaît taciturne, a de sérieuses raisons pour cela : il est en fait dans le coma et annonce que les médecins ont décidé de le débrancher. Il s’agit là d’une infaillible façon de capturer le lecteur en éveillant sa curiosité. Et de son lit, il raconte l’affaire :

Un psychopathe enlève les jeunes gens par deux, les tue (je vous laisse découvrir le modus operandi, les expose dans un lieu historique de la ville de Vitoria-Gasteiz en commençant par un lieu datant du moyen-âge et en progressant à chaque crime, dans la chronologie par le choix du lieu. Ce n’est pas tout, il progresse de cinq ans en cinq ans, si des victimes ont quinze ans, les suivantes en auront vingt et ainsi de suite : Vitoria regorge de lieux historiques, impossible de prédire le lieu de la découverte suivante, de quoi semer la panique au poste de police et dans la population.

L’autrice ne se contente pas de raconter les faits, elle insinue entre les chapitres, une histoire de personnes datant des années 70, ajoute quelques indices qui seraient bien utiles aux enquêteurs.

On fait également connaissance du héros, l’inspecteur Unai Lopez de Ayala, dit le Kraken, entouré de sa meilleur amie Estibaliz, de son grand-père, sympathique personnage quasi centenaire. Un individu qui n’a pas froid aux yeux et dont j’ai adoré les répliques.

Ce roman ne m’a pas seulement captivée, il m’a aussi beaucoup émue, les crimes ne touchent pas uniquement les habitants lambda, il peut concerner des personnages devenus proches du lecteur. Les comportements des personnes ne m’ont pas laissé indifférentes, j’ai vraiment vécu ce roman comme si j’étais en plein cœur de l’histoire.

Ce livre est le fruit d’une documentation pointue, Eva García Sáenz de Urturi qui est entrée en contact avec les archéologues, des formateurs en profilage criminel, a étudié des cas réels, et affirme que ce roman est le plus autobiographique de la série, originaire de Vitoria, elle invite à la visite de cette belle et attirante ville, quelques-uns de ses personnages sont issus de ses souvenirs de jeunesse.

Je me suis également laissé bercer par la profusion de noms espagnols et Basques et de l’ambiance d’un pays que j’aime.