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dimanche 6 juillet 2025

 

Bientôt les vivants












Amina Damerdji

Ed Gallimard (4/01/2024,) 288 pages,  

Ed Folio (12/06/2025)  320 pages.


Voici un excellent roman qui vient compléter la lecture du prix Goncourt traitant de la question de la décennie noire algérienne, Houris.  Roman beaucoup plus accessible et linéaire qui retrace la vie d’une famille durant cette terrible guerre civile.

Le début peut paraître confus, en raison de la présence d’un certain nombre de personnages qui m’ont obligée à dresser un petit arbre généalogique afin de situer chaque membre de cette famille étendue vivant de part et d’autre d’Alger, avec, dans la famille que je qualifierais de « noyau » et siège de l’histoire, les membres de trois générations.

 

Le roman est introduit par le tristement célèbre massacre de 1997 à Alger, celui qu’aujourd’hui on ne tait plus, le massacre de Bentalha au cours duquel ni les femmes, ni les enfants ne furent épargnés. Puis l’on est plongé dans le passé, en 1988 alors que l’Algérie vivait une période d’émeutes orchestrées par les imams dans le but de protester contre la répression, alors que le Front Islamique du Salut ne s’exprime pas encore, mais gagne progressivement du terrain jusqu’en 1992 lorsque ce parti remporte les élections.

On plongera dans l’horreur des massacres. Prise dans cette tourmente, Mima l’aïeule, ses enfants, Hicham et Brahim, les frères ennemis dont l’antagonisme est exacerbé par la guerre,  ses deux petites filles, Selma et Maya n’auront d’autre choix que de vivre à Alger devenue le théâtre de violences inouïes.

L’autrice nous introduit au sein de cette famille et décrit un groupe humain que la guerre civile divise, Hicham se radicalisant, Brahim le père de Selma empruntant un chemin opposé, la grand-mère tentant de protéger ce fils traumatisé dans sa jeunesse, les deux petites filles montrant combien il est difficile de se construire quand on est adolescente dans ce contexte.

Bouffée d’air pur éphémère, Selma, passionnée de cheval, se rend régulièrement à Sidi Youssef, pour y pratiquer l’équitation. Toutefois cet intermède met en avant un personnage qui puise dans le présent son devenir dans un futur proche. De même que la vie du centre équestre prend une valeur symbolique à travers la description de Sheïtane le cheval, l’indomptable qui préfigure le déploiement de haine futur, le nom du cheval signifie « Satan » ce n’est pas un hasard.

Et Selma est partagée, entre violence et pacifisme, entre amour et haine, et sa cousine, Maya est une jeune fille instable qui transgresse, brave le danger, se façonnant un tempérament qui n’est pas le sien.

Quelques descriptions dans le roman seront à éviter par les personnes sensibles, et révèlent les ressources infinies que possèdent certains hommes dans l’art de la torture, l’art de la terreur qui consiste à faire des cadavres, des exemples pour les vivants.

Ce roman, quoique parfois difficile à supporter en raison de la violence, de la terreur imposée par les FIS, n’est sans doute pas le dernier concernant cette période noire de l’Algérie. La loi n’obligeant plus à gommer ce lourd passé, d’autres paraîtront. Puissent ces romans constituer un hommage aux victimes.